La densité d'élevage de la truite en aquaponie

Par : Morgan Menot - Catégories : Accueil , Conseil aquaponique
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La densité d'élevage

Lorsque l'on élève des poissons, on parle souvent de densité d'élevage. Mais la densité d'élevage, c'est quoi ? Comment on la calcule et quelle densité d'élevage respecter pour nos poissons ? Ce sont des questions auxquelles nous allons répondre dans cet article.

Qu'est-ce que la densité d'élevage ?

Déjà pour commencer, il faut bien comprendre que l'espace que l'on donne à un poisson ce dis en m3 et pas en m2, ils vivent dans un univers volumétrique. Cela paraît logique, mais imaginons que vous mettez un bassin de 1 m2 qui fait 1 m3, alors le poisson qui vivra dans ce bassin n'aura pas 1 m2 d'espace pour lui, mais bien 1 m3. La surface au sol pour les poissons ne veut rien dire, ce qu'il faut bien prendre en compte, c'est le volume.

La densité d'élevage, c'est le nombre de poisson que vous avez dans un volume. La valeur de la densité d'élevage est le kilogramme par mètre cube (kg/m3), on quantifie donc un nombre de poissons dans 1 000 litres d'eau (donc 1 m3). Par exemple si dans un bassin de 1 000 litres, vous avez 25 poissons avec un poids moyen de 1 kilogramme, vous avez une densité d'élevage de 25 kg/m3.

La densité d'élevage est importante à prendre en compte, car elle va jouer sur les performances de votre élevage. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'il y a une densité d'élevage maximale et minimale pour chaque espèce. Certaines espèces vont préférer être peu nombreuse et inversement, des densités d'élevage trop haute ou trop basse peuvent être une source de stress sur la durée, ce stress continue, s'il est trop prolongé, peu tuer vos poissons. 

La densité d'élevage peut jouer sur le bien-être de vos poissons et si vos poissons ne sont pas dans un état de bien-être, mais dans un état de stress continue, alors cela peut avoir des conséquences négatives sur leur croissance et leur système immunitaire.

Quelle densité d'élevage pour nos poissons d'aquaponie ?

Pour nos poissons d'aquaponie, on recommande une densité d'élevage de 25 kg/m3, nous recommandons cette densité, car c'est celle qui est utilisée aujourd'hui dans les piscicultures avec le label "Bio". Mais selon certaines études, il est démontré que pour la truite arc-en-ciel par exemple, avoir des densités d'élevage de 75 kg/m3 permet d'avoir une croissance plus homogène de vos poissons, mais cela peut faire augmenter le stress que ressentent vos poissons sur une courte période lors de l'introduction des poissons. Selon cette même étude, le pourcentage de mortalité entre des bassins à 25 kg/m3 et des bassins à 75kg/m3 est quasiment égal sur 46 jours (McKenzie & al, 2012). Il a aussi été démontré que lorsque les poissons sont élevés dans des densités supérieures à 25 kg/m3, cela réduit les comportements agressifs et de hiérarchie au sein du groupe. (North & al, 2006). 

Tableau des règles sur le bien-être animal (Ellis & al, 2002)

Tableau des règles sur le bien-être animal, traduit en français par Nego Fish Koi (Ellis & al, 2002)

Ces 5 règles sont celles que l'on utilise pour évaluer le bien-être d'un animal. Ces 5 règles fonctionnent aussi pour les poissons. Mais ces règles restent tout de même quelque chose de légèrement abstrait. Il y a un moyen de savoir de manière plus concrète si un poisson est soumis à un stress ou pas, pour cela, les chercheurs font des prises de sang lors de leurs expériences et mesure le taux de cortisol. 

Concentration du cortisol (en ng.ml) dans le plasma des truites arc-en-ciel en fonction de la densité et de la température de l'eau. (North & al, 2006)

Cette expérience démontre que la densité joue beaucoup sur le stress que les truites peuvent ressentir. Selon cette étude, les truites ressentent plus de stress lorsqu'elles sont à 10 kg/m3, peu de stress à 40 kg/m3 et à 80 kg/m3. On peut donc vérifier ici que lorsque l'on ne met pas assez de truites arc-en-ciel dans un bassin, elles seront beaucoup plus stressées que si elles sont maintenues avec de fortes densités. Morale de l'histoire, mieux vaut mettre beaucoup de poisson dans votre bassin !

Beaucoup, mais pas trop ! En effet selon l'étude de B.P North & al, il est connu que à partir de 60 kg/m3, le nombre de blessures augmentent drastiquement car les poissons se rentrent dedans et frottent contre les parois du bassin.

Graphique du gain de poids des truites à haute densité et basse densité. (McKenzie & al, 2012)

Sur ce graphique, on peut voir que les truites avec des densités à 20 kg/m3 dites "faible" ont une meilleure croissance que les truites mise à des densités de 75 kg/m3 dites "haute". Même si ce n'est qu'une différence de 8 %, cela prouve tout de même que les truites sont dans de meilleures conditions de croissance à une densité de 20 kg/m3.

Tableau des éléments énergétiques chez la truite arc-en-ciel élevé à deux différentes densités (faible, 25 kg/m3 vs haute, 100 kg/m3) avec ou sans petit de courant de nage, sur une croissance de 195 à 218 g (McKenzie & al, 2012)

Il a aussi été démontré que des lots de truites élevées dans une haute densité auront un poids par individu plus homogène que des poissons élevés à basse densité. C'est ce que démontre ce tableau où l'on peut voir la "Specific growth rate (%/day)", en français : le taux de croissance spécifique en % par jour. Rapide explication, la croissance spécifique, c'est l'inverse de la croissance en groupe, donc s'il y a un haut taux de croissance spécifique, cela se traduira par un lot très hétérogène au niveau des poids, à l'inverse un faible taux de croissance spécifique se traduira par un lot très homogène au niveau des poids. On peut donc voire ici que les poissons élevés à 25 kg/m3 ont un taux de croissance spécifique plus haut (1.42 %) que les truites élevées à une densité de 100 kg/m3. Ce n'est qu'une différence de 0.06 %, mais cette différence, bien que pas significative, montre que les poissons avec de hautes densités ont plus de facilité à se nourrir. Pourquoi cette différence ? Si la densité est trop faible, les poissons comme les truites mettent en place une hiérarchisation dans le groupe, il y aura donc des combats de territoire, des dominants, qui mangeront en premiers et beaucoup, et des dominés qui mangeront en derniers et de très faible quantité. Donc si on monte assez la densité entre 25 kg/m3 et 30 kg/m3, les truites n'auront pas assez d'espaces pour se créer des territoires et il n'y aura donc pas de dominants et de dominés.

Cependant, il faut rester vigilant à votre densité lors des différentes saisons. En effet, qui dis plus de poissons dans vos bassins dis plus de consommation en oxygène par les poissons. Et en été, l'eau va se réchauffer, et triste nouvelle, plus l'eau est chaude, moins elle peut contenir d'oxygène dissous. Vous voyez où je veux en venir ? Plus l'eau sera chaude, moins elle pourra contenir d'oxygène dissous et donc moins vous pourrez mettre de poisson dans un bassin. Cela est valable si votre eau monte vite et haut en température l'été. Mais nous recommandons un maximum de 40 kg/m3 en été.

(Villeneuve & al, 2006)

Ce graphique est un relevé de l'oxygène dissous en fonction de la température dans une rivière. On peut voir qu'à 12 °C, on a 10.4 mg/L d'oxygène dissous et à 20 °c on a 8.5 mg/L d'oxygène dissous. Bien sûr cela dans une rivière avec quasiment aucun poisson dedans. Avec un rapide calcul, on peut voir qu'il y a 20 % moins d'oxygène à 20 °C par rapport à 12 °C. De plus, les poissons ont un métabolisme qui est plus ou moins rapide en fonction de la température de l'eau, qui dit métabolisme plus rapide dis aussi plus d'oxygène consommer. Donc des poissons qui consomment plus à cause de leurs métabolismes plus rapide et une eau qui s'appauvrit en oxygène dissous, et ici (-) + (-) ne fait pas +. Voilà pourquoi il est important de prendre en compte la température de l'eau lorsque vous voulez stocker des poissons.

Ce graphique nous montre bien que la consommation en oxygène des truites arc-en-ciel dépend de leur poids ainsi que de la température de l'eau. En effet, plus les truites sont petites et plus la température est chaude, plus elles vont consommer d'oxygène.

Pour respecter la densité d'élevage de vos bassins, il faut rester vigilant sur le poids de vos poissons. En effet, vos poissons vont grandir et donc gagner en masse, le poids moyen de vos poissons va augmenter et donc votre densité aussi. Il y aura certes autant de poissons, mais ils seront plus gros et donc prendront plus de place. 

Il faut donc faire de temps à autre des poids moyens afin de savoir combien de poisson vous avez et quel poids ils font. Ainsi, vous pourrez recalculer votre densité d'élevage actuelle. Comment faire pour éviter d'avoir des poissons trop gros pour vos bassins et de dépasser la densité d'élevage que vous souhaitiez maintenir ? Eh bien, soit vous prenez une biomasse de départ très faible en sachant que lorsqu'ils vont grandir, ils atteindront la densité d'élevage que vous vous êtes fixé, soit vous prenez différents bassin de différentes tailles ce qui vous permet d'adapter le volume à la taille et au poids de vos poissons. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que la 2ème solution est sûrement la meilleure. Cela vous permettra de vous faire gagner du temps et vous pourrez aussi lancer plusieurs générations en même temps dans vos différents bassins.

Calculer une densité d'élevage

La densité d'élevage peut se calculer et je vais vous montrer avec un exemple comment bien faire ce calcul.

Alors, imaginons que j'ai un bassin de 1 000 litres (1 m3) et que je veux mettre une densité de 30 kg/m3 avec des poissons faisant en poids moyen 20 grammes. 

Je vais donc mettre 30 kg de poisson dans mon bassin, je dois maintenant savoir combien de poisson d'un poids moyen de 20 grammes, il me faut pour faire 30 kilogrammes de poisson au total. Pour cela, on divise le poids total par le poids moyen des poissons.

30/0.02=1 500

On peut donc mettre 1 500 poissons. 

C'était un exemple simple, prenons un peu plus compliqué.

Dans un bassin de 1 500 litres (1.5 m3), je veux mettre 40 kg/m3 avec des poissons d'un poids moyen de 125 grammes.

Pour commencer, je dois trouver quel poids total de poisson 40 kg/m3 représente pour 1.5 m3. Pour cela, rien ne vaut un bon vieux produit en croix.

40 kg -> 1 000 litres

  ? kg  -> 1 500 litres

40*1500/1000= 60 kg de poisson à mettre dans un 1.5 m3

Maintenant, on fait comme précédemment, on va calculer combien de poisson d'un poids moyen de 125 grammes, il me faut pour faire 40 kilogrammes de poisson au total.

40/0.125= 320

On peut donc mettre 320 poissons.

Si vous ne voulez pas peser vos poissons pour avoir la biomasse totale de vos bassins. Vous pouvez aussi utiliser la quantité de nourriture. Hé oui, grâce à la formule des granulés Le Gouessant, les poissons ont un indice de conversion, ou IC, de 1. L'IC est la quantité d'aliments que vous distribuez pour produire 1 kg de poisson. Un IC de 1 signifie que 1 kg d'aliment pour produire 1 kg de poisson, un IC de 2 signifie que 2 kg d'aliment produisent 1 kg de poissons, etc.

Donc pour calculer votre biomasse totale vous n'avez qu'à calculer la quantité de nourriture que vous avez donné depuis la dernière fois que vous avez pesés vos poissons. Par exemple, si depuis votre dernière pesée vous aviez calculé une biomasse totale de 20 kg, et que depuis vous avez donné 15 kg d'aliment, alors vous pouvez considérer que vous avez 20+15= 35 kg de biomasse dans votre bassin. Cette technique fonctionne aussi si vous donnez de la viande ou des insectes à vos truites, on considère aussi que cette alimentation à un IC de 1.

Conclusion

Que ce soit en aquaculture ou en aquaponie, les faibles densités ne sont pas bonnes pour les poissons, car cela va générer du stress, des guerres de territoire et de la dominance intraspécifique ce qui va engendrer des problèmes dans l'alimentation de certains individus. On peut aller à des densités de 15 kg/m3 à 60 kg/m3 (hors démarrage d'un système aquaponique) sachant que les poissons seront stressés à 15 kg/m3 et qu'au dessus de 60 kg/m3, les poissons vont se blesser, car ils auront tendance à se rentrer dedans et à se cogner sur les parois du bassin.

Cependant, il y a 2 facteurs limitant à prendre en compte lorsque l'on monte au-dessus de 40 kg/m3 de poissons :

- L'oxygène, en effet en été, l'eau va se réchauffer et stockera moins d'oxygène dissous qu'en hiver, et les poissons en été ont un métabolisme plus rapide qu'en hiver et ils consommeront plus d'oxygène. Il faut donc rester à 40 kg/m3 voire en dessous.

- Le bio-filtre, en effet si votre bio-filtre est sous-dimensionné, vous ne pourrez pas stocker plus de poissons. Pensez toujours à surdimensionner vos bio-filtres !

Nous recommandons une densité entre 25 kg/m3 et 40 kg/m3 sous réserve d'une bonnes oxygénation, cela permet d'avoir des poissons qui ne stresse pas, pas de hiérarchisation dans le groupe et une densité qui ne consomme pas trop d'oxygène en été. En hiver, on peut facilement monter à 40 kg/m3 à 55 kg/m3 maximum et l'été, on peut être entre 25 kg/m3 et 30 kg/m3. Si vous souhaitez de fortes densités de poisson, il n'y a pas de secret, il faut une eau froide (20 °C et moins) et une bonne oxygénation fournit par la pompe à air. Mais si jamais vous souhaitez stocker beaucoup de poissons en été, vous pouvez toujours installer un refroidisseur qui vous permettra de descendre la température de votre eau pendant la période estivale et sans consommer trop d'énergie. Pendant l'été, vous pouvez aussi diviser la ration quotidienne et la donner en plusieurs fois dans la journée afin d'éviter un pic de consommation d'oxygène lié à la digestion des poissons.

Bibliographie

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- Baldwin, L. (2011) 'The effects of stocking density on fish welfare', The Plymouth Student Scientist, 4(1), p. 372-383

- Long, Lina; Zhang, Haigeng; Ni, Qi; Liu, Huang; Wu, Fan; Wang, Xiaodong (2019). Effects of stocking density on growth, stress, and immune responses of juvenile Chinese sturgeon (Acipenser sinensis) in a recirculating aquaculture system. Comparative Biochemistry and Physiology Part C: Toxicology & Pharmacology, 219(), 25–34.

T. Ellis; B. North; A. P. Scott; N.R. Bromage; M. Porter; D. Gadd (2002). The relationships between stocking density and welfare in farmed rainbow trout. , 61(3), 493–531.

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Villeneuve, Valérie; Légaré, Stéphane; Painchaud, Jean; Vincent, Warwick (2006). Dynamique et modélisation de l’oxygène dissous en rivière; Dynamics and modelling of dissolved oxygen in rivers; . Revue des sciences de l'eau, 

A Muller-Feuga; J Petit; J.J Sabaut (1978). The influence of temperature and wet weight on the oxygen demand of rainbow trout (Salmo gairdneri R.) in fresh water. , 14(4), 355–363.

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